SAMARCANDE- AMIN MAALOUF


Edition Originale: JC Lattes

Coll. Livre de Poche

Samarcande d'Amin Maalouf n’est pas qu’un livre. Il vous transporte dans cet Orient inconnu et légendaire des marchés qui explosent de senteurs entêtantes, des troquets où le vin est encore délice pour les sens et des rues où femmes enceintes approchent les hommes jeunes et beaux pour porter chance à leur future progéniture. Samarcande c’est l’Orient des poètes, des philosophes oubliés, du temps qui passe et des guerres qui se répètent. Samarcande c'est l'Orient des Palais imprenables, des fontaines ouvragées et des histoires du clair de lune. Samarcande, un Orient riche d'enseignement.

Page 14
Parfois à Samarcande, au soir d'une journée lente et morne, des citadins désœuvrés viennent roder dans l'impasse de deux tavernes, près du marché aux poivres, non pour gouter au vin musqué de Soghdiane, mais pour épier allées et venues, ou prendre à partie quelque buveur éméché. L'homme est alors traîné dans la poussière, arrosé d'insultes, voué à un enfer dont le feu lui rappellera jusqu'à la fin des siècles le rougeoiement du vin tentateur (...) frais plaisir d'arpenter une ville inconnue, les yeux ouverts aux mille touches de la journée finissante.

Page 15
Place des marchands de fumée, une femme enceinte aborde Khayyam. Voile retroussé, elle a quinze ans à peine. Sans un mot, sans un sourire sur ses lèvres ingénues, elle lui dérobe un pincée des amandes grillées qu'il venait d'acheter. Le promeneur ne s'en étonne pas, c'est une croyance ancienne à Samarcande : lorsqu'une future mère rencontre dans la rue un étranger qui lui plait, elle doit oser partager sa nourriture, ainsi l'enfant sera aussi beau que lui, avec la même silhouette élancée, les mêmes traits nobles et réguliers.

Page 16
Ce n'est pas tant l'ivrognerie qu'il craint, il sait qu'il ne s'y abandonnera pas, le vin et lui ont appris à se respecter, jamais l'un d'eux ne répandrait l'autre sur le sol. Ce qu'il redoute plus que tout, c'est la multitude, et qu'elle abatte en lui le mur de la respectabilité".

Page 17
Rien, ils ne savent, ne veulent rien savoir.
Vois-tu ces ignorants, ils dominent le monde.
Si tu n'es pas des leurs, ils t'appellent incroyan
t.
Néglige les, Khayyam, suis ton propre chemin.

Page 29
Quand il arrive à son tour, l'étudiant balafré se saisit d'une pincée qu'il tend à Khayyam avec mes mots :
- Tu aurais sans doute préféré que je t'offre le raisin sous forme de vin.
Il n'a pas parlé à voix si haute, mais comme par enchantement, toute l'assistance s'est tue, retenant sa respiration, dressant l'oreille, observant les lèvres d'Omar.
- Quand on veut boire du vin, on choisit avec soin son échanson et son compagnon de plaisir.
La voix du balafré s'élève quelque peu :
- Pour ma part, je n'en boirai pas la moindre goutte, je tiens à avoir une place au paradis. Tu ne sembles pas désireux de m'y rejoindre.
- L'éternité entière en compagnie d'ulémas sentencieux? Non, merci, Dieu nous a promis autre chose.

Page 114
"Entre toi et Hassan, que de choses en commun ! Si une cause vous séduit, bâtir un empire ou préparer le règne de l'imam, vous n'hésitez pas à tuer pour la faire triompher. Pour moi, toute cause qui tue cesse de me séduire. Elle s'enlaidit à mes yeux, se dégrade et s'avilit, aussi belle qu'elle ait pu être. Aucune cause n'est juste quand elle s'allie à la mort." (Omar Khayyam)

Page 215
"Je be souffre pas d'être retenu prisonnier, je ne redoute pas la mort prochaine. Ma seule cause de désolation est de constater que je n'ai pas vu fleurir les graines que j'ai semées. La tyrannie continue d'écraser les peuples d'Orient, et l'obscurantisme d'étouffer leur cri de libertés. Peut-être aurais-je mieux réussi si j'avais planté mes graines dans la terre fertile du peuple au lieu des terres arides des cours royales. Et toi, peuple de Perse, en qui j'ai placé mes plus grands espoirs, ne crois pas qu'en éliminant un homme tu peux gagner ta liberté. C'est le poids des traditions séculaires que tu dois oser secouer." (Seyyed Djamaleddine)

Page 231
"Tabriz mérite mieux qu'une journée hâtive. Comment pouvez-vous venir jusqu'ici sans accepter de vous perdre une journée ou deux dans les dédales du plus grand bazar de l'Orient, sans contempler les ruines de la Mosquée Bleue mentionnée dans Les Mille et Une Nuits ? Les voyageurs sont par trop pressés, de nos jours, pressés d'arriver, d'arriver à tout prix, mais ce n'est pas seulement au bout du chemin que l'on arrive. A chaque étape on arrive quelque part, à chaque pas on peut découvrir une face cachée de notre planète, il suffit de regarder, de désirer, de croire, d'aimer.

Page 303
"On dit qu'un roi à moitié fou avait condamné Nasruddine à mort pour avoir volé un âne. Au moment où on le va conduire au supplice, Nasruddine s'écrit : "cette bete est en réalité mon frère, un magicien lui a donné cette apparence, mais on me la confiait pendant un an, je lui réapprendrais à parler comme vous et moi !" Intrigué, le monarque fait répéter à l'accusé sa promesse avant de décréter : "fort bien ! Mais si dans un an jour pour jour, l'âne ne parle pas, tu seras exécuté." À sa sortie, Nasruddine est interpellé par sa femme : "comment peux-tu promettre une chose pareille ? Tu sais bien que cet âne ne parlera pas. - Bien sûr que je le sais, répond Nasruddine, mais d'ici un an le roi peut mourir, l'âne peut mourir, ou bien moi je peux mourir."

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